Le mot « éponyme » semble de plus en plus utilisé dans les médias. Comme on peut en ignorer sa signification, je vais commencer par la donner. Cà signifie : qui donne son nom. Par exemple, Athéna est la déesse éponyme de la capitale grecque, puisque c’est d’Athéna que vient le nom d’Athènes.
Le mot est parfois correctement utilisé par la presse.
On peut par exemple lire dans Présent1 en 2018 : « Sorti en octobre 1937 au Paramount à Paris, Le Fauteuil 47 a été réalisé par Fernand Rivers d’après la pièce éponyme de Louis Verneuil (scénariste du film par ailleurs). Avec Françoise Rosay, Raimu, Henri Garat, André Lefaur, Denise Bosc ». L’emploi du mot est ici correct, car la pièce de théâtre est antérieure au film, et a donné son nom au film.
Autre exemple dans le Monde2 en 2015 : « Débarquant du Connecticut où il s’est créé en 2011, XPO Logistics, avec une capitalisation boursière de quelque 4 milliards de dollars, a ainsi pu mettre 3,2 milliards d’euros sur la table – et une prime irrésistible de 37 % – pour racheter le transporteur français Norbert Dentressangle, fondé il y a trente cinq ans à Lyon par le patriarche éponyme ». Emploi correct du mot, l’entreprise portant le nom de son fondateur.
Le mot « éponyme » est parfois utilisé à contresens. C’est quasiment systématique à la télévision. Quand un chanteur ne donne pas de titre particulier à son album de chansons, mais inscrit juste son nom sur la pochette, le présentateur parle d’« album éponyme » ou de « disque éponyme » ; ce qui est débile, puisque çà signifie que le chanteur a changé de nom, et a désormais pris comme nom celui qui a été donné à son disque. Ce cas de figure a peut-être existé (je n’ai pas d’exemple en tête). Mais dans le cas général, ce n’est pas le disque qui est éponyme, c’est le chanteur.
On trouve aussi quelques exemples dans la presse écrite.
Par exemple, dans le Monde3 en 2012 : « Serge Dassault n’est pas satisfait du bilan des années Sarkozy en matière de politique industrielle. Et l’avancée des négociations pour la vente de Rafales4 à l’Inde n’y change rien. Le sénateur UMP et patron du groupe industriel éponyme a lancé un coup de gueule, mercredi 8 février, lors de la réunion de l’UMP dédiée à la lutte contre les délocalisations, en présence de caciques du parti présidentiel ». Le journaliste écrit que Serge Dassault s’appelle ainsi, parce qu’il est président du groupe Dassault, et qu’il a donc décidé d’avoir le même nom que son entreprise. Ce qui est faux. Serge est le fils de Marcel Bloch, qui après la seconde guerre mondiale a changé son nom en Bloch-Dassault, puis en Dassault, et a créé l’entreprise Dassault en lui donnant son nom.
Autre exemple dans le Monde diplomatique5 en 2018 : « Grand romancier d’aventure et artisan de fables sociales, B. Traven, l’auteur du Trésor de la Sierra Madre – un roman mondialement célèbre depuis la sortie en 1948 du film éponyme de John Huston avec Humphrey Bogart –, considérait qu’« un créateur ne saurait avoir d’autre biographie que son œuvre» ». Le roman étant de 1927, et le film de 1948, c’est donc le roman qui est éponyme, et non le film.
En 2008, Libération6 parle « des Raisins de la colère, le roman de John Steinbeck, paru en 1939, et le film éponyme de John Ford tourné en 1940 ». Là, ce qui est remarquable, c’est que l’auteur dit que c’est le film qui a donné son nom au roman, tout en indiquant que le roman est antérieur au film…
Toujours dans Libération7, en 2005 : « La délégation britannique arriva à Nice pour l’ultime phase de négociations du traité éponyme ». Ce qui veut donc dire que le « traité de Nice » a été signé, puis que la ville dans laquelle il a été signé s’est appelée Nice, en souvenir de ce traité……..
Information préhistorique dans le Monde des religions8 en 2018 : « Fait unique, les visiteurs pourront comparer des fossiles originaux sortis exceptionnellement de leur réserve, tels que le crâne éponyme découvert dans la vallée de Néander (Allemagne) en 1856 ». Ce n’est évidemment pas le crâne qui est éponyme, c’est la vallée (« tal » en allemand ») ; l’homme de Néandertal s’appelle ainsi parce qu’on a découvert son crâne dans la vallée de Néander.
Article sur les inondations dans Libération9 en 2017 : « Le 1er juin 2016, les habitants de la vallée du Loing se réveillent les pieds dans l’eau. C’est d’abord le canal éponyme qui a débordé, puis la rivière ». Même sans connaissance particulière de la région, on peut supputer que le mot a encore été employé à contresens ; le journaliste dit que le canal a donné son nom à la rivière, alors que l’inverse est beaucoup plus probable……
Encore dans Libération10, à propos de football : « Jean-Louis Dupont, défenseur de Jean-Marc Bosman dans l’affaire éponyme, qui a fait exploser les frontières dans le foot ». L’arrêt Bosman est une décision de la cour de justice des communautés européennes, saisie par le footballeur belge Jean-Marc Bosman, qui décide que tout quota maximum de joueurs étrangers dans une équipe sportive est contraire au traité de Rome. Utilisation encore une fois contraire du mot « éponyme » : c’est le footballeur qui a donné son nom à la décision de justice, et évidemment pas l’inverse…
Un dernier exemple dans Libération11 : « Drut n’était pourtant pas à la rue: conseiller aux sports de Chirac (à la Mairie de Paris entre 1985 et 1989), ministre éponyme sous le gouvernement Juppé (de 1995 à 1997) ». Là, ce n’est même pas un emploi à contresens, c’est vraiment n’importe quoi ! Dans la tête du journaliste de Libération, çà doit vouloir dire que Guy Drut a d’abord été conseiller aux sports, puis ministre des sports….
Le mot « éponyme » est souvent employé de travers ; mais il faut reconnaître qu’il n’est pas couramment employé par les Français. Contrairement à d’autres mots de grammaire comme « homonyme » ou « synonyme », qu’on apprend à l’école.
Des homonymes sont des mots ayant un sens différent, mais une graphie ou une prononciation identiques (coeur/choeur, point/poing, prémisses/prémices, balade/ballade, mot/maux, sol/saule, sot/saut/sceau/seau, mine [de charbon]/mine [de crayon], port/porc, mer/mère/maire, pin/pain, champ/chant).
Des synonymes sont des mots ayant un sens similaire (cacher/dissimuler, beau/joli).
Des paronymes sont des mots dont le sens diffère, mais dont l’écriture ou la prononciation sont proches (Draguignan/Gradignan, attention/intention, éruption/irruption, enduire/induire, collision/collusion, effraction/infraction).
Les antonymes sont des mots dont le sens est contraire (jeune/vieux, beau/laid, travailleur/paresseux, gentillesse/méchanceté). Contrairement au mot « synonyme », le mot « antonyme » est probablement largement inconnu des Français ; en effet, on parle aux élèves de « synonymes et de contraires », et non pas de « synonymes et d’antonymes ».
Il n’y a donc aucune honte à ne pas connaître le mot « antonyme » ; et il n’y aucune nécessité, à part peut-être pour des grammairiens de très haut niveau, à utiliser ce mot. Il en est de même pour le mot « éponyme ». Je n’ai jamais employé ce mot de ma vie, et je pense qu’il y a une dizaine ou une quinzaine d’années, j’ignorais même qu’il existait ; à tort ou à raison, je n’en éprouve aucune honte, ni aucun complexe d’infériorité culturelle.
Je pense en revanche qu’il est vraiment ridicule d’employer des mots qu’on ne comprend pas….
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1- Alain Sanders : « Le Fauteuil 47 », Présent, 21 avril 2018.
2- Isabelle Chaperon : « Les entrepreneurs accros à la dette sont de retour », le Monde, 24 juin 2015.
3- Eric Nunès : « Pour Serge Dassault, la précarité c’est la vie », le Monde, 10 février 2012.
4- Rafale : avion de combat fabriqué par le groupe Dassault.
5- Charles Jacquier : « Écrivain mystère et œuvre légendaire », le Monde diplomatique, mars 2018.
6- Gérard Lefort : « Raisins amers », Libération, 26 avril 2008.
7- Stephen Wall : « Chirac et Blair feraient la paire », Libération, 16 juin 2005.
8- Hélène Bourg : « Coup de massue sur Néandertal », le Monde des religions, 25 avril 2018.
9- Sylvain Mouillard : « Loing : un an après, la vallée manque d’assurance », Libération, 31 mai 2017.
10- Olivier Bertrand : « L’OL ne paie pas les pros cassés », Libération, 8 décembre 2005.
11- Renaud Lecadre : « Quand Drut chutait sur les emplois fictifs », Libération, 27 mai 2006.