Charlatanisme bogdanovien

Les frères Bogdanov, anciens animateurs dans une émission télévisée pour enfants, se sont depuis reconvertis dans l’écriture de livres dont les titres expriment les prétentions scientifiques ou philosophico-religieuses (« Dieu et la science », « La fin du hasard », « Avant le big bang », « Le visage de Dieu »,…).

Comme ils font partie du système, on les voit régulièrement à la télévision, en particulier dans l’émission « On n’est pas couché » de l’animateur Laurent Ruquier, sur la télévision d’Etat France 2.

Leur passage dans une de ces émissions fin 2013 a donné lieu à un exercice de charlatanisme remarquable. Remarquable parce qu’un enfant de 10 ans serait capable d’expliquer le mécanisme de la manipulation ; remarquable parce que personne dans l’émission n’a expliqué le fonctionnement de la manipulation.

Un des frères Bogdanov propose une expérience au journaliste Aymeric Caron. Ecoutons-le :

« On va faire une petite expérience ensemble » ;

« Je vais demander à Aymeric de penser à un nombre entre 1 et 100 » ;

« Maintenant, vous prenez le nombre suivant, que vous ajoutez au nombre auquel vous avez pensé ; autrement dit, si vous avez choisi le nombre 11, vous allez choisir le nombre 12 et l’ajouter à 11 » ;

« Maintenant, je vais prendre un autre nombre au hasard, par exemple 9 » ;

« Vous allez rajouter 9 au nombre que vous avez obtenu » ;

« Maintenant, vous allez diviser çà par 2 » ;

« Et dernière chose, vous avez pensé à un nombre au début ; vous allez retrancher le nombre auquel vous avez pensé du nombre que vous avez obtenu maintenant ».

Et là, oh miracle ! le Bogdanov dit que le nombre final est « 5 », et c’est effectivement le cas.

J’invite ceux de mes lecteurs qui n’auraient pas vraiment compris le calcul du Bogdanov, à prendre un papier et un stylo, à relire le texte précédent et à entrer dans le calcul demandé, avant de lire la suite de mon propos.

Maintenant que vous avez vous-même tenté l’expérience, venons-en à l’explication. C’est en fait tout simplement un tour de « magie » qu’on fait dans les cours de récréation d’école primaire.

« Si ! Je suis capable de lire dans ton cerveau. Choisis un nombre entre 1 et 100, sans me le dire. Je me concentre pour essayer de lire dans ton cerveau. Ajoute 5 à ce nombre. Ne me donne pas le résultat, mais pense très fort au résultat. Maintenant, le nombre que tu avais choisi au début, tu le soustrais de ce résultat. Ne me dis rien, mais pense à ce chiffre. Vas-y, vas-y ! Penses-y très fort. Cà y est, j’arrive à lire dans ton cerveau ! Le résultat est 5 ».

En ajoutant le nombre inconnu, puis en le soustrayant, on l’annule. Quel que soit le chiffre choisi au début, le résultat sera le même.

Pour expliquer les choses autrement, si l’on nomme « x » le nombre choisi au début, l’équation posée dans la cour de récréation se pose ainsi : « x+5-x ». Le résultat est donc simple.

L’équation bogdanovienne est à peine plus compliquée. Elle se traduit ainsi : « (x+(x+1)+9)/2-x ».

Reprenons.

Le nombre auquel on pense est appelé « x ». Il faut y ajouter le nombre suivant ; le nombre suivant, c’est «x » auquel on ajoute 1, donc « x+1 ». Si l’on prend « x », auquel on ajoute le nombre suivant, puis auquel on ajoute 9, on a donc :

x+(x+1)+9=x+x+10=2x+10

On a donc « 2x », c’est-à-dire 2 fois le nombre « x », auquel on ajoute 10.

Il faut ensuite diviser par 2. Comme on a deux fois le nombre « x », si on divise par 2, on l’a désormais une seule fois. C’est-à-dire :

(2x+10)/2=x+5

Au résultat qu’on a trouvé (« x+5 »), Bogdanov demande enfin de retrancher « x » ; on se retrouve donc dans la cour de récréation : « x+5-x ».

Ainsi, par annulation des « x », quel que soit le nombre « x » choisi au début, le résultat est le même.

Je pense que tout le monde est capable de comprendre cette explication, même les réfractaires aux mathématiques ayant quitté l’école depuis plusieurs décennies. Quant à ceux qui sont plus familiers avec les équations, je leur présente mes excuses pour cette explication longue et laborieuse ; mais l’essentiel est de bien expliquer pour tout le monde.

Mais le Bogdanov ne va pas expliquer ainsi le fait qu’il trouve le résultat. Il va même être d’une mauvaise foi évidente à trois reprises.

D’abord, quand Aymeric Caron commence à écrire les calculs, Laurent Ruquier demande : « Je ne peux pas le faire moi en même temps avec un autre nombre ? » ; le Bogdanov répond : « Si, si. On peut le faire, mais pas en même temps, parce que c’est quand même euh….. ». On ne sait pas vraiment pourquoi, mais on devine que c’est sans doute parce que çà doit être trop complexe. Bien entendu, rien ne s’oppose à ce que quelqu’un d’autre le fasse en même temps, on arrivera au même résultat, c’est tout. Ou c’est peut-être justement le problème…

Ensuite, Aymeric Caron déclare : « Mais vous allez me faire une formule mathématique… » ; « Non, non, non, pas du tout », répond le Bogdanov.

« Je suis sûr que çà marche avec tous les chiffres », dit enfin Aymeric Caron. « Pas du tout », répond le Bogdanov.

Le Bogdanov tente de finir en apothéose, mais trop, c’est quand même trop ! Une autre journaliste, Natacha Polony, demande à Aymeric Caron quel était le nombre qu’il avait choisi au départ, et celui-ci répond que c’est 25. Exactement 20 secondes plus tard, le Bogdanov déclare très sérieusement : « Tout çà, en fait, repose sur un encadrement de ce qui est aléatoire au départ, puisque je ne sais pas du tout le nombre que vous avez choisi ; je pense qu’il a choisi 25 ; je ne suis pas sûr, mais je crois… » Aymeric Caron, atterré, répond : « Je viens de le dire ; (…) désolé, mais….. ».

Et pour finir, cette « expérience », qu’est-elle censée démontrer ?

Ecoutons les Bogdanov :

« Ca veut dire que Galilée a raison quand il dit que la nature est écrite en langage mathématique » ; « J’ai utilisé tout simplement les ressources mathématiques sur lesquelles repose le hasard ; j’ai suivi quelques pas de calcul, mais tout çà, en fait, repose sur un encadrement de ce qui est aléatoire au départ, puisque je ne sais pas du tout le nombre que vous avez choisi ».

Je laisse mes lecteurs décider si la pensée scientifique de Galilée repose sur l’équation « x+5-x=5 »

Je ne suis pas régulièrement les apparitions télévisées des Bogdanov, et je n’ai lu aucun de leurs livres. Et cette mascarade mathématique n’est pas de nature à m’y pousser. Je pense que cette « expérience » les disqualifie, car elle me paraît montrer qu’ils ne cherchent pas à éduquer les gens, à les instruire, mais à les mystifier.

Quant à l’émission de France 2, personne n’y a expliqué en direct les ressorts de cette manipulation, ce qui peut être excusable : soit personne n’a compris le « truc », soit personne, même en l’ayant compris, ne s’est senti capable de l’expliquer simplement et brièvement. En revanche, à ma connaissance, dans l’émission suivante, ou dans une des émissions suivantes, Laurent Ruquier ne s’est jamais senti obligé de rediffuser cet extrait et d’en faire expliquer le « truc » ; et çà, c’est nettement moins pardonnable.

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